Haute couture : clap de fin, ou presque

 

Pour le dernier jour de la Paris Fashion Week haute couture, certains ont montré des créations inédites, à l’instar de Bouchra Jarrar et de Viktor & Rolf.

Photo Marcel Hartmann

Photo Marcel Hartmann

Publié dans Le Monde

D’autres ont joué la carte du teaser remettant à plus tard une présentation en bonne et due forme, comme Elie Saab, Maison Margiela et Valentino.

C’est une autre conséquence du Covid-19. Non seulement la pandémie a obligé la fashion week haute couture de Paris à se dématérialiser, mais elle a aussi considérablement ralenti la confection des collections qui sont fabriquées à la main dans les ateliers. Cette réalité s’est fait cruellement ressentir lors de l’ultime journée de présentation du 8 juillet : les créateurs qui n’avaient pas terminé leur ouvrage ont dû ruser pour tenir leur auditoire en haleine.

Elie Saab a, par exemple, dégainé un clip qui multiplie les gros plans sur une nature sublimée – écorce d’arbre, terre friable, pétales de fleurs – autant que sur des tissus soignés, piqués de dentelle ou rebrodés de perles. Mais aucune robe n’apparaît entièrement, et la séquence finale donne rendez-vous en septembre pour découvrir les pièces. En somme, un amuse-bouche au milieu d’une saison sans coupe de champagne.

Même des maisons de plus grande taille, piliers du calendrier, ont joué la carte du teaser, faute de mieux. Maison Margiela laisse deviner au spectateur, en quarante-cinq secondes, la silhouette d’une femme à chapeau, bouche entrouverte, en manteau à épaulettes ceinturé, baignée dans des teintes de couleurs primaires saturées. Elle est la future héroïne énigmatique de la collection couture baptisée Artisanal et signée John Galliano, mais dont l’intégralité ne sera dévoilée que le 16 juillet.

Il faudra attendre jusqu’au 21 juillet chez Valentino, généralement grand chouchou des rédactrices de mode lors du marathon couture. « Nous respectons toutes les mesures de sécurité et les restrictions liées au Covid-19. Celles-ci ont ralenti les processus de fabrication dans les ateliers qui nécessitent généralement plus d’une couturière pour travailler sur la même robe », indique-t-on dans la maison pour expliquer ce léger retard.

Pour patienter avant la découverte de la collection, conçue avec le photographe britannique Nick Knight et prévue pour se tenir dans les studios romains de Cinecittà, on se console avec une mini-bande-annonce : quelques notes enveloppantes de FKA Twigs sur lesquelles se superpose l’image d’une étoffe soyeuse qui se déploie.

Ancienne directrice artistique de Sonia Rykiel passée côté couture en son nom propre, Julie de Libran a quant à elle pallié l’absence de nouvelles pièces sous la forme d’un flash-back. Une vidéo de six minutes invite à se replonger dans la saison précédente, avec dessins et photos souvenirs. On sourit en l’entendant dresser, dans ce contenu numérique, l’éloge du défilé physique, cette grand-messe disparue.

Sans surprise, c’est lorsqu’un designer a des créations inédites à montrer que le résultat retient vraiment l’attention. On peut tenter l’escapade en forêt, comme le fait Bouchra Jarrar avec sa vidéo dans laquelle des jumelles, en grande chemise blanche, manteau tailleur, robe plissée et coiffe à plumes, se promènent côte à côte et s’étreignent à l’envi, sans mesure barrière. Comme un plaidoyer pour un avenir dans lequel la beauté aura supplanté la distanciation physique.

En attendant, on trouve encore des masques pour se couvrir le visage à la fashion week : le dernier snobisme consistant à l’assortir à sa robe haute couture en faux cuir, comme chez Viktor & Rolf. C’est qu’il s’agit de « l’accessoire le plus malin de la saison », décrète même en voix off le chanteur Mika, qui joue le Monsieur Loyal en commentant les neuf nouvelles tenues qu’a imaginées le duo néerlandais, passé maître dans l’art du second degré.

Pas de doute : voici une collection pensée sous confinement. Chaque robe illustre un sentiment, une émotion en chassant une autre, comme certains ont pu le ressentir durant deux mois d’enfermement. Robe-manteau-colère couverte de piquots pailletés géants qui découragent d’approcher celle qui la porte, robe-manteau-passion où se déploie une multitude de cœurs en relief pour un moment de partage, robe à nœud en satin recouverte d’émojis contradictoires façon journée cyclothymique… Là, même à travers un écran, cela ne laisse pas indifférent.

par Valentin Pérez